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Quarante souvenirs 1

23 Octobre 2017, 14:46pm

Publié par Pascal Tresson

LE NOM DES RUES

Le bourg de Clamart, autrefois relais voyer de la capitale et petit centre de production agricole dont le marché était exclusivement la Ville, avait nommé ses rues simplement, pour le meilleur usage. Ce qui était passant portait le nom de la destination des voyageurs. Ce qui était le cœur de ville, au plus chaud du sentiment civique des habitants, faisait référence à des choses connues d’eux seuls : un lieu-dit vénérable, un bienfaiteur communal, un grand propriétaire. Pour le reste, nommer n’avait pas d’importance et l’on disait rue de l’ouest aussi bien que rue du bois, le poids du nom étant le poids du lieu.

Rue Chef-de-ville, rue du Plessis-piquet, rue des Lys, place du Garde… Pour l’habitant d’un lieu il n’y a pas de poésie des noms, le goût des noms étant affaire avant tout, je crois, d’attachement à un lexique rassemblant noms communs et noms propres dans un même dialecte communal.

La rue Jean-Baptiste Clément, anciennement rue de Chevreuse, faisait partie du lot de rues qui ont changé de nom à la Libération. Le nom des rues, dans l’extrême violence de la situation d’alors, fut source d’une fièvre en quelque sorte anabaptiste conduisant les édiles, sous la pression des événements, à troquer autant que possible, et vite, les choses anciennes pour les drapeaux du jour. Il s’agissait donc de réduire à un trait, au moyen d’une plaque d’émail bleu, l’espace séparant le réel d’une promesse politique confuse, bénie par les grands hommes. Pour ce faire, à Clamart, il fallut s’attaquer à un réduit, ou bien, selon le point de vue, épuiser une réserve, car nous avions déjà depuis la Première guerre nos noms républicains et aucune commune dans le département de la Seine ne nous en aurait remontré en fait de Gambetta, de Jean-Jaurès et de Victor-Hugo.

Cette vague de baptêmes nouveaux, pour être juste, était jointe aussi, mécaniquement, au mouvement d’expansion de la Ville. Ce qui chez nous avait été local devait devenir périphérique et dépendant du centre, que dis-je du centre, de la voix même de la Nation.

Ma grand-mère pour qui la Libération, dans sa vie, avait été un événement tardif, persistait, sans affectation, à donner aux rues leur nom ancien. Nous nous rendions rue de Paris et nous traversions la rue de Chevreuse. Parisienne de naissance et parisienne toute sa jeunesse, arpentant les boulevards à pied pour épargner le coût d’un omnibus, le nom des rues avait eu pour elle son prestige et son prix. Comme il s’était trouvé que sa condition sociale avait crû dans le même temps que sa condition géographique s’était dégradée, elle disait rue Gathelot et rue Chef-de-ville du même ton entendu qu’elle avait dit naguère Boulevard de la Madeleine et rue Tronchet.

Yves André Quarante souvenirs (Inédit)

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